La dureté du mental

« L’esprit fait foi de tout. Les muscles ne sont que des pièces de caoutchouc. Tout ce que je suis, c’est le résultat de mon esprit*. »

Paavo Nurmi

Sir Roger Gilbert Bannister est né le 23 mars 1929 dans la banlieue d’Harrow, près de Londres (Angleterre). Étudiant à Oxford, c’est à l’université qu’il entame sa carrière de coureur, à l’âge de 17 ans. Élancé et mince, à la foulée élégante, il progresse rapidement et est déjà considéré, deux années plus tard, comme un espoir olympique. Il refuse pourtant de prendre part aux Jeux de Londres parce qu’il ne se sent pas prêt à courir à un tel niveau. Quatre années plus tard, fort de ses succès sur la piste, il se rend à Helsinki (Finlande) en prévision des Jeux Olympiques. Lors d’une finale âprement disputée, il termine 4e au 1 500 m, un échec, selon lui. Après deux mois de réflexion quant à son avenir, il décide de courir le mille en moins de 4 minutes, du jamais vu. En voie de devenir neurologue, s’entraînant souvent moins de 60 minutes par jour à l’heure du dîner, comment a-t-il pu briser l’une des barrières les plus insurmontables que la course à pied ait connue?

Le mille (1 760 verges ou 1 609 mètres)

À l’époque de Bannister, le mille est une distance de choix, une épreuve d’endurance et de vitesse que personne n’a réussi à compléter en moins de 4 minutes. « J’ai toujours pensé que le mille en 4 minutes était davantage un problème psychologique qu’un test d’endurance physique* », affirme Gunder Hägg, coureur suédois qui s’est approché à moins de 1,5 seconde de la marque tant convoitée (4.01.4). Pourquoi le mille en moins de 4 minutes présente-t-il alors un aspect si mythique? Est-ce sa simplicité arithmétique (4 tours de piste en 1 minute), sa symétrie? Le fait qu’on considère cet exploit comme inatteignable, voire humainement impossible? John Landy, en avril 1954, a déjà couru 6 fois le mille sous les 4.03. Il déclare : « Courir sous les 4 minutes, c’est comme tenter d’enfoncer un mur de briques. Je n’essaierai pas de nouveau.* » 

Note : Le 21 juin 1954, Landy franchit le mile en 3.57.9 et devient le 2e coureur à briser cette barrière.

La préparation et la stratégie

Suivant les normes d’aujourd’hui, Roger Bannister court très peu, environ 45 kilomètres par semaine, selon Sebastian Coe. Sa préparation est simple, soit de s’attaquer au plus simple dénominateur commun (400 m) jusqu’à le maîtriser parfaitement. Pour Bannister, courir 400 m en 60 secondes doit devenir un automatisme. En avril 1954, il effectue l’entraînement suivant : 10 x 400 m en 59 secondes, avec 2 minutes de pause entre chaque effort. Puis huit jours avant une compétition prévue à la piste d’Iffley Road (Oxford), il franchit 1 200 mètres en 2.59.9. La table est mise.

Selon Bannister, pour s’améliorer à la course, il faut de l’autodiscipline, une observation perspicace de l’entraînement et des réactions en compétition et, par-dessus tout, du jugement, afin de prendre soi-même les bonnes décisions. Il établit alors sa stratégie : 1) se concentrer sur un seul objectif au cours de l’entraînement; 2) rassembler 4 éléments clés, soit une bonne piste située dans un environnement familier, l’absence de vent, une météo clémente et un rythme égal; 3) faire de la visualisation et de longues marches, en quête de calme; 4) utiliser ses forces, dans son cas la capacité à finir en force.

Le grand moment

Le 6 mai 1954, à l’âge de 25 ans, Bannister se présente sur la piste cendrée d’Iffley Road, devant environ 1 200 personnes, après son quart à l’hôpital St. Mary’s. On lui remet le numéro 41. À ses côtés se trouvent ses partenaires d’entraînement, Christopher Chataway et Chris Brasher. Le vent souffle et Bannister hésite à tenter de briser le record. Puis le vent tombe. L’étudiant en médecine franchit les premiers 400 mètres en 57,5 secondes, arrive à mi-chemin en 1 min 58. Le troisième tour est un peu plus lent et avec un tour à faire, le chronomètre indique 3.00.7. Avec 300 mètres à faire, il prend la tête de la course et franchit la ligne d’arrivée en 3.59.4. Le monde de la course est sous le choc, une barrière vient de s’effondrer.

Conclusion

Si plus de 1 400 coureurs ont depuis couru le mille en moins de 4 minutes, l’exploit de Bannister demeure légendaire. Selon Sebastian Coe, « c’est l’une des courses les plus exceptionnelles de tous les temps* ». En 1954, Bannister nous enseignait une chose : que l’aspect mental de la course à pied pouvait se révéler plus important que l’entraînement physique, qu’il fallait utiliser son cerveau autant que ses jambes. Il dira lui-même que « des facteurs psychologiques… déterminent à quel point un athlète peut s’approcher des limites absolues de la performance* ». À nous maintenant de suivre les traces de Bannister et de briser nos barrières personnelles!

*Traduction libre

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Benoit Gignac
J’ai commencé à courir après avoir déménagé en Colombie-Britannique, et depuis la course fait partie intégrante de ma vie, que ce soit comme coureur en sentier et sur route, entraîneur, membre d’un club ou d’un comité organisateur, bénévole, etc. Formations : Fitness Instructor and Personal Trainer Certification par Canadian Fitness Education Services; Baccalauréat multidisciplinaire en rédaction professionnelle, lettres et langue française et enseignement du français comme langue seconde (Université Laval et Université de Sherbrooke) - Passions : Course à pied, ski de fond, photographie, voyage; - Expérience de course : Deux fois membre de l'équipe canadienne de course en montagne (2015-2016). Vous pouvez trouver Benoit sur Facebook en cliquant ici

6 réflexions au sujet de “La dureté du mental”

    • Merci Francis! Je t’invite également à lire à propos du « Miracle Mile », qui s’est tenu en 1954 à Vancouver. Bannister et Landy ont alors couru tous les deux sous les 4 minutes, une première.

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    • Merci Silvia! En effet, Roger Bannister est certainement un athlète inspirant qui aura marqué le monde de la course à pied à plus d’une reprise.

      Bonne course,

      Benoît

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