Courir en prison: une façon de s’évader

J’ai passé du temps dans une prison à sécurité maximale. Deux heures et demie, pour être précis. Le 28 avril 2017, je franchissais les portes de l’Oregon State Penitentiary, à Salem. Je me rappelle les murs, les barreaux, les barbelés, les gardiens. Mon chandail orange vif, qui me distinguait des détenus. Ce sentiment de claustrophobie. Le bruit métallique de la porte qui se referme lourdement derrière moi. Je suis accompagné de mon bon ami Cendrix et de Frédéric, caméraman. Radio-Canada a obtenu la permission de tourner des images à l’intérieur des murs, et Cendrix m’a invité à rejoindre l’aventure. J’ai un peu hésité. Je craignais de me retrouver dans la position du voyeur, les détenus un peu comme des animaux de cirque. Puis j’ai lu le reportage de Runner’s World, The Wall, qui m’a convaincu.

Cinq minutes après avoir mis les pieds dans la cour, j’ai déjà fait la connaissance de Lesley, Doug et Richard. Nous discutons course à pied, et le sentiment d’étouffement qui m’avait d’abord envahi a disparu. De leur côté, ce n’est pas qu’une autre journée d’une longue peine d’emprisonnement, c’est jour de course, l’occasion pour eux d’accueillir des « outsiders ». Du mien, c’est une expérience inoubliable, partager une dizaine de kilomètres avec des gens dont le parcours diffère radicalement du mien. Je ne me souviens plus très bien de la compétition. Je me rappelle davantage les poignées de main par la suite, et les sourires. L’impression que ce qui venait d’arriver transcendait le sport. J’y repense souvent, ce fut un moment marquant. Tout récemment, j’ai pris connaissance du rapport A Sporting Chance – An Independent Review of Sport in Youth and Adult prisons de Rosie Meek, psychologue et chercheure, publié en août 2018. Et cette lecture m’a ramené à l’intérieur des murs du pénitencier. 

Recommandations

Le rapport est très long, une centaine de pages, difficile donc d’en faire un résumé. Je m’attarderai à certaines des recommandations faites par Meek, qui me semblent les plus intéressantes. Il est important de dire que, bien entendu, le sport n’est pas la réponse à tout. Par contre, dans le cas d’individus au style de vie très sédentaire (périodes prolongées passées en cellule), qui montrent ou ont montré des comportements criminels, l’activité physique peut avoir des bénéfices physiques, psychologiques et sociaux importants. Le sport peut, par exemple, réduire les risques d’obésité, d’hypertension et de diabète, et du même coup les frais en soins de santé. Il offre des occasions de contacts sociaux, d’inclusion, de cohésion et de résolution de conflits. 

Recommandation 1 : Chaque prison doit concevoir et mettre en œuvre une stratégie d’activité physique et de bien-être.

Pour y arriver, l’ensemble de l’établissement doit s’engager à améliorer le bien-être mental et physique des détenus.

Recommandation 3 : Les prisons doivent offrir des conseils nutritionnels et promouvoir des choix alimentaires sains.

La nutrition a des effets non seulement sur la santé, mais aussi sur le comportement et l’humeur. Le personnel doit saisir les occasions d’offrir des conseils en matière d’alimentation saine, de valeur nutritionnelle et de planification des repas. Les aliments santé doivent être offerts à des prix raisonnables, bien identifiés et promus adéquatement.

Recommandation 5 : Les activités physiques doivent répondre aux besoins individuels. La santé, le bien-être et la réhabilitation sont au cœur de la pratique.

Les prisons accueillent des populations hétérogènes, c’est pourquoi le programme doit s’adresser à tous les âges, origines, habiletés, milieux… afin d’éviter que des groupes soient laissés de côté. (La recommandation 6 souligne l’importance d’une stratégie à l’intention des femmes et des filles en prison, et la recommandation 8 invite à évaluer la participation aux activités physiques selon l’ethnicité.)

Recommandation 9 : Les cadres supérieurs doivent encourager les partenariats entre les prisons, les communautés, les groupes sportifs et autres organismes.

Les partenariats stimulent l’innovation, permettent d’épargner et ont un plus large impact. Il faut trouver des façons sûres* d’inviter la communauté sportive à visiter les détenus en prison.

*L’expérience que j’ai vécue en Oregon m’amène à croire que c’est tout à fait possible.

Conclusion

Au Canada, la population carcérale atteint environ 40 000 individus (130/100 000 habitants). Aux États-Unis, ce sont près de 2,2 millions de personnes qui sont emprisonnées (655/100 000 habitants). C’est un enjeu social majeur, puisque la grande majorité de ces individus retrouveront un jour la liberté. Le sort de ces détenus, l’aide qui leur est apportée et la réinsertion sociale sont des sujets délicats, et les opinions divergent. Sans être naïf, j’aime croire que la plupart des gens peuvent faire amende honorable et dévier du chemin qui les a menés vers la criminalité. Si on accepte bien sûr d’y consacrer le temps, l’accompagnement, l’éducation et les ressources. 

De retour au 28 avril 2017, au pénitencier. Quand Lesley Closler, condamné à la prison à vie, avoue que la course a sauvé sa vie, qu’il s’est affranchi de ses dépendances et qu’il est fier de ce qu’il a accompli; que George Douglas Sanders affirme que le sport est rassembleur et favorise la bonne conduite; qu’Eric Nitschke voit le programme de course comme un outil de réhabilitation et planifie courir avec son fils dans deux ans à sa sortie de prison; je suis peut-être naïf, mais ces confidences m’ont donné envie d’y croire. Certes, l’échantillon est minime et l’expérience, très courte. Tout de même : ce matin-là, j’ai côtoyé des gens qui s’évadaient grâce à la course à pied. Et je crois bien que c’est de l’espoir que j’ai vu dans leurs yeux.

Reportage à Radio-Canada  

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Benoit Gignac
J’ai commencé à courir après avoir déménagé en Colombie-Britannique, et depuis la course fait partie intégrante de ma vie, que ce soit comme coureur en sentier et sur route, entraîneur, membre d’un club ou d’un comité organisateur, bénévole, etc. Formations : Fitness Instructor and Personal Trainer Certification par Canadian Fitness Education Services; Baccalauréat multidisciplinaire en rédaction professionnelle, lettres et langue française et enseignement du français comme langue seconde (Université Laval et Université de Sherbrooke) - Passions : Course à pied, ski de fond, photographie, voyage; - Expérience de course : Deux fois membre de l'équipe canadienne de course en montagne (2015-2016). Vous pouvez trouver Benoit sur Facebook en cliquant ici

2 réflexions au sujet de “Courir en prison: une façon de s’évader”

  1. Hallucinant… Benoit, tu écris comme un maître!

    Ceci étant dit, il faut quand même admettre qu’on ne rejoindra pas toute la population carcérale avec la course ou les activités sportives. Pour d’autres, ce sera la musique, la science, la technologie ou autre. A chacun sa bouée 🙂

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    • Tout à fait! Je crois que l’essentiel est de proposer de nouvelles perspectives, des occasions de progresser et d’apprendre au cours de l’incarcération.

      Merci d’avoir pris la peine de commenter!

      Benoît

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